Sécurité sociale / Complémentaires : le couple infernal ?

A l’aube du quinquennat et de la nouvelle politique de santé qu’il induit, comment passer d’un financement de la santé inefficient, coûteux, complexe et inégalitaire à un système vertueux pour une meilleure santé des Français ? C’est à cette problématique fondatrice que Didier Tabuteau, responsable de la chaire Santé de Sciences Po, et Thierry Beaudet, Président de La Mutualité française, ont apporté des éléments de réponse – forcément divergents – dans le cadre du petit déjeuner-débat des Contrepoints de la Santé du 10 mai.

 

Les défis du Président Macron

Qui est Emmanuel Macron ? Un Chef de l’État « qui a une vision libérale de la société ». Certes « mais dès lors qu’il est question de protection sociale et de santé, c’est le retour de l’étatisme », s’inquiète Thierry Baudet qui souhaite que le nouveau locataire de l’Élysée « fasse le pari des acteurs car on ne construira pas le système de santé de demain si on ne les mobilise pas ».

Pour Didier Tabuteau, le Président de la République devra être celui qui prendra la mesure du « grand enjeu du quinquennat à venir », en l’occurrence que l’on est dans « un moment où les équilibres entre liberté et sécurité sont difficiles à redéfinir ». « Il y a une nouvelle construction à faire et une confiance à redonner dans le système social, a-t-il ajouté. On a besoin d’une clarification des principes qui l’organisent. »

Fusionner AMO et AMC ?

L’une des clarifications serait de créer une assurance maladie universelle qui réunirait AMO et AMC, comme l’ont suggéré, dans une tribune récemment publiée dans Le Monde, le responsable de la chaire Santé de Sciences Po et son co-auteur Martin Hirsch, Directeur général de l’AP-HP. Un scénario qui fait bondir Thierry Baudet : « La proposition n’est pas réaliste. L’Assurance maladie obligatoire demeure l’homme malade de la Sécu avec 4,8 milliards d’euros de déficit. Je ne vois pas comment la Sécu pourrait, dans le contexte actuel, absorber en plus les 42 milliards d’euros à la charge des ménages au travers de leurs complémentaires et du reste à charge. Ce serait prendre le risque de fragiliser définitivement l’édifice. »

Des frais de gestion dans le collimateur

Et Didier Tabuteau d’enfoncer le clou en suggérant que les 7 milliards de frais de gestion des complémentaires, aussi légitimes soient-ils, soient utilisés autrement. Suffisant pour faire réagir le Président de La Mutualité Française qui a souhaité remettre en perspective cette question : « C’est un sujet qui n’est pas majeur. Dans les frais de gestion, nous mettons nos actions de prévention, nos actions sociales, les coûts de développement des plates-formes etc. Nos organismes sont bien gérés et à l’équilibre et donc capables de tenir leurs engagements dans la durée. Nous, nous n’avons pas de dette sociale. Hors, que je sache, les intérêts de la dette ne sont pas affectés aux frais de gestion de la Sécu. »

Tout seul ou à deux ?

Toujours est-il que pour Didier Tabuteau, l’efficience autant que l’Histoire commandent de tendre vers la constitution d’un seul acteur majeur en matière de remboursement des soins : « Initialement, l’idée était qu’à terme, il puisse y avoir un système unique de financement. L’ordonnance de 1945 permettait en effet à la Sécurité sociale d’assurer la complémentaire santé. Aller vers un système avec un seul financeur résoudrait les problèmes. Il serait logique que ce soit l’Assurance maladie qui rembourse tout puisqu’elle rembourse déjà l’essentiel. »

CQDF. Mais pas, bien sûr, pour La Mutualité Française : « On mythifie une Sécurité sociale qui n’a jamais véritablement existé, martèle Thierry Baudet. Renforcer encore l’État et la Sécu n’améliorera pas le système. On est dans une situation où l’État se mêle de tout et pas toujours très bien. Par exemple, l’Assurance maladie obligatoire négocie profession de santé par profession de santé sans vision globale. Le monopole n’est pas souhaitable. Il faut au contraire mettre de l’émulation dans le dispositif et les complémentaires peuvent jouer un rôle. » Et ce, d’autant qu’aux yeux des complémentaires, lasses d’être « reléguées à un rôle de payeur aveugle », la question de l’accès aux soins se jouera dans la proximité et dans les territoires. Là, il faudra apporter, en concertation avec l’ensemble des acteurs (maires, usagers, médecins etc.), des solutions qui soient opérantes.

Un reste à charge zéro sous conditions

Plus largement, Thierry Baudet réaffirme la volonté des organismes qu’il représente de jouer le jeu, notamment à l’heure où Emmanuel Macron plaide pour un reste à charge zéro en matière dentaire, d’optique et d’audioprothèses. Mais pas à n’importe quelle condition. Tout d’abord en agissant à la fois sur le remboursement et sur les prix pratiqués, sans oublier de préalablement définir le panier de soins qui correspond au reste à charge zéro. Le tout pour aboutir à 15 % de baisse des prix, 15 % d’augmentation des remboursements de la Sécurité sociale et à 15 % d’augmentation des remboursements des complémentaires dont le montant des cotisations devra forcément augmenter.

Contrats-types ? Pourquoi pas !

Les contrats-types voulus par Emmanuel Macron ne sont pas récusés par La Mutualité Française. Sous réserve de voir grand et sans exclusive. Une exigence de clarification que Thierry Baudet aimerait voir également appliquée aux nomenclatures de la Sécurité sociale totalement illisibles et incompréhensibles.

Les contrats-types, toujours eux, sont venus apporter de l’eau au moulin de Didier Tabuteau : « Plus vous standardisez l’offre de complémentaires, plus la question du maintien d’un deuxième étage se pose. En effet, si l’on perd cette liberté de choix qui caractérise les complémentaires, il est logique d’avoir un seul système. » Et de suggérer, à tout le moins, que si « le grand avantage des complémentaires est de pouvoir choisir son type de contrat, alors laissons à chacun le droit de choisir la Sécurité sociale comme complémentaire ».

Les mutuelles ont-elles encore une âme ?

Interrogé sur la question de savoir si les mutuelles n’étaient pas de moins en moins mutualistes et de plus en plus assurantielles, Thierry Baudet en a appelé au bon sens : « On nous a plongés dans un environnement de marché et on ne voudrait pas qu’on utilise les outils du marché ». Le Président de la Mutualité française explique qu’il faut gagner en taille pour être en mesure d’effectuer les investissements considérables au bénéfice des sociétaires.

Didier Tabuteau n’y croit pas : « L’avenir de la mutualité est de participer à la structuration de l’offre de soins mais pour cela, il ne faut pas être financeur. En effet, pour ce qui est de cette activité, les mutuelles vont devenir des assureurs comme les autres car elles sont en situation de concurrence et devront donc en jouer le jeu. »

Le tiers payant général fait consensus

Unique point de convergence entre les deux débateurs, le tiers payant général. « Je n’en fais pas un totem, assure Thierry Baudet. Le tiers payant s’imposera parce que les patients le demandent. Or, les professionnels de santé ne pourront pas laisser penser qu’ils ne s’inscrivent pas dans ce qui sera perçu comme un facteur de simplification et de modernité. » Didier Tabuteau ne dit pas le contraire, lui qui est « partisan d’un tiers payant qui soit un droit de l’assuré social », chacun pouvant alors opter ou pas pour ce dispositif en fonction de ses besoins.

Alexandre Terrini (Agence Presse Infos+)


Les Contrepoints de la Santé sont Organisés et animés par Philippe Leduc, Pascal Maurel (Ortus) et Renaud Degas (La Veille Presse Infos+) au Restaurant Opéra.
Le petit déjeuner-débat du 10 mai était organisé en partenariat avec le Groupe Pasteur Mutualité et le Groupe Point Vision.

VOIR LES CAPTATIONS VIDÉO